MAGENTA x Lemaz's
VEGASRAMA

Tant de phénomènes extraordinaires  se sont dévoilés sous les yeux de l’Homme durant un XXe siècle placé sous l’hégémonie de la modernité. Ère atomique, expansion urbaine, béton à outrance, consommation de masse... l’Homme moderne, celui qui s’est détaché de sa nature originelle pour s’en inventer une nouvelle, l’homme autodéterminé, est à son paroxysme. Un parallèle infaillible opère alors entre ces crises écologiques et la Modernité. Une transition devient nécessaire et les attitudes de l’Homme moderne, dispendieuses et énergivores, doivent disparaître. Les esprits planchent alors sur le futur de la ville et convergent tous vers la vision de cités dites «vertes», «durables» ou encore «smart» dans lesquelles l’Homme moderne qui a du mal à se raisonner par lui même se voit proposer de nouveaux habitats teintés de diktat et de surveillance. Caméras, capteurs, datas centers, un déluge de technologies plus liberticides les unes que les autres censées mener l’Homme moderne à la raison dans sa quête de sobriété. Ses journées désormais calculées à l’avance, l’Homme moderne entre dans un quotidien où ses actions, ses trajets et ses consommations sont figés et lissés par une optimisation poussée à l’extrême. L’amenant vers toujours plus de vertu jusqu’à l’aliéner, La ville de demain, perçue comme un data-center totalitaire, glisse alors vers un futur sûr et aseptisé, sans péril pour la nature ni pour l’Homme, ne laissant plus de place à l’instantané. Ainsi l’image de cette ville devenue sûre, apaisée, calme et inhibée interroge : est-elle réellement écologique ? Rendra-t-elle l’homme plus en prise avec son environnement ? Est-elle un vecteur de bonheur ? Enfin, va-t-elle devenir une machine à produire des individus frustrés ?

Il semblerait en effet que celle-ci ait oublié de prendre en considération une composante primordiale de la vie de l’Homme moderne : le fantasme. Ce mot trouve son apogée dans une image radicale du XXe siècle : la très moderne Las Vegas. Ville du toujours plus, Sin City incarne à elle seule la désinhibition et le lâcher prise de la modernité du siècle dernier. Défouloir généralisé au milieu du désert le plus aride des Etats-Unis, Las Vegas dont l’image anti-écologique n’est plus à préciser, fascine pour sa grandiloquence autant qu’elle terrifie pour ses nombreuses aberrations environnementales. Véritable machine à fantasme collectif, Las Vegas produit en un seul lieu des fragments de désir sous stéroïdes capables de faire succomber quiconque osant s’y aventurer. Mêlant artifice et fantasque, ce microcosme dopé aux néons a su façonner un monde dans lequel les désirs les plus violents peuvent être réalisés en permanence, rendant le désert lui-même invisible de nuit lorsque les lumières de celle-ci s’illuminent. Dans un contexte où le fantasme et l’amusement semblent progressivement tomber dans le lot des actes dispendieux à bannir, le patrimoine hyper moderne de Las Vegas, aussi contestable soit-il, semble alors être une piste plus qu’intéressante pour questionner la place du fantasme dans la ville de demain.

Cependant, pandémie oblige et le début de l’année 2021 n’est pas propice au voyage physique. L’intention de travailler sur un territoire étranger et précisément sur Las Vegas n’en demeure pas moins présente. Figure de proue du postmodernisme, elle est devenue un élément incontournable de la culture américaine de la fin du XXème siècle et nombreux sont les auteurs et réalisateurs à avoir posé leur regard sur la ville qui ne s’éteint jamais. En débutant notre analyse, nous nous sommes rendu compte que Las Vegas était un monde en elle-même, chargée d’un imaginaire très fort qu’il nous fallait décortiquer fragment par fragment. S’il est un peu prétentieux de parler de mythes pour une ville qui n’aime pas se prendre au sérieux, nous parlerons ici d’images pour définir les entités qui façonnent le monde de Las Vegas. Largement véhiculée au cinéma, dans la littérature ou encore la photographie, Las Vegas fait partie de ces villes que l’on peut s’approprier sans y être allé grâce à ses images très fortes qu’elle a su projeter dans le monde entier. Ces images sont donc devenus des clés d’entrées afin d’appréhender cette création d’individus résolument modernes.

Partant de cette posture d’un monde liberticide à venir, il devient intéressant de questionner le patrimoine hyper moderne de Las Vegas pour réfléchir à des lieux de délivrance, des lieux dans lesquels l’Homme peut venir relaxer sa frustration d’Homo-Ecologicus. Des lieux de respiration brute voués à la création d’ambiances enivrantes, sensationnelles et libératrices. Des lieux qui viennent questionner notre rapport au fantasme dans des villes de plus en plus “smart”.

Le Vegasrama se propose comme l’un de ces lieux, un lieu d’expérience : celui d’un retour à une forme d’exubérance dans un cadre culturel et mémoriel. La ville écologique ne laissant plus de place à l’instantané où au fantasme, ce lieu est l’occasion de commémorer une époque passée faite de flashs et d’images.

Parce que cela peut paraître contraire aux ambitions écologiques actuelles de construire un tel édifice qui semblerait à première vu singer Las Vegas, ce musée légitime sa présence dans la ville de demain en s’impliquant dans un processus de recherche d’une sobriété écologique : le recyclage. Pour ce faire, il s’articule autour d’un procédé constructif simple :  celui du gabion, un cube grillagé de 1m de côté dans lequel peuvent être déposés des gravats de matériaux. Rempli de déchets inertes issus de la construction comme des gravats de béton ou des terres excavées, le gabion se manifeste comme une brique sans liant que l’on peut venir agencer d’une manière très archaïque.